Million Dollar Baby

La fille à un million de dollars

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Critique

Vous en faites pas, moi non plus les bandes-annonces ne me disaient pas grand-chose. N’eut été de la figuration de Clint Eastwood à toutes les étapes de ce film (réalisation, musique, jeu), il ne m’aurait probablement pas intéressé. Million Dollar Baby ne semblait qu’une mise à jour d’un des premiers rôles d’Hilary Swank, dans The Next Karate Kid. Puis, la rumeur s’est mise à circuler qu’il s’agissait d’un des plus grands films de l’année. Million Dollar Baby s’est fait attendre sur les écrans québécois mais disons tout de suite qu’il valait bien cette attente, et plus encore.

Frankie Dunn est un ex « cut man », celui qui vous rapièce pour que vous puissiez terminer votre combat de boxe sans perdre tout votre sang. Retraité depuis longtemps, Frankie s’est recyclé dans l’entraînement de nouveaux boxeurs. Alors qu’il vient de se faire abandonner par son plus récent espoir, Dunn voit surgir dans son gym Maggie, une (pas si) jeune femme qui désire être entraînée par Frankie. Réticent au départ, le vieil homme cède finalement devant l’implacable volonté de la sympathique jeune femme et accepte d’en faire une boxeuse.

Voilà qui résume la première moitié de Million Dollar Baby. Je n’en dirai pas plus car moins on en sait, plus le film aura d’impact. Ne laissez personne vous gâcher le plaisir de découvrir les détours de ce film dont l’intérêt principal n’est absolument pas la boxe. Les préoccupations d’Eastwood sont plus accessibles, universelles et profondes.

Il sera difficile de trouver réalisateur américain ayant accomplit trois films aussi achevés, presque parfaits, que Unforgiven, Mystic River et Million Dollar Baby. Eastwood y démontre une maîtrise de son art, une maturité dramatique hors du commun et un raffinement renversant pour le bon goût et la sobriété dans sa façon de tourner. Il laisse les personnages vivre à l’écran et leur histoire porter le film, sans artifice et sans embellissement superflu. On sent également une évolution dans la façon d’Eastwood de voir le monde, moins noir et blanc qu’avant mais plutôt teinté de gris constant. Les questions sont de plus en plus difficiles et les bonnes réponses encore plus floues semble-t-il affirmer. La justesse de la réalisation d’Eastwood n’a d’égale que la justesse de sa direction d’acteurs. Même lorsque leur personnage risque de verser dans le cliché, les interprétations de Morgan Freeman, Hilary Swank et surtout Eastwood lui-même assurent la véracité constante du récit. Le trio principal est constitué de gens de chair et d’os et ce n’est que très rarement que le scénario tombe dans la caricature (comme pour la famille de Maggie).

La première heure de Million Dollar Baby constitue un drame sportif conventionnel, certes, mais rudement efficace et porté par des vétérans à leur aise. Les séquences de boxe présentent une rudesse et une violence qui nous apparaît réaliste et Swank s’y donne sans compter (elle a tourné elle-même chaque séquence de combat).

La seconde partie redéfinit complètement le film et nous offre la performance de la carrière d’Eastwood. Elle met en lumière les thèmes qui concernent vraiment le réalisateur et son scénariste, Paul Haggis, qui a adapté les nouvelles du recueil Rope Burns de F.X. Toole, pseudonyme d’un vétéran de la boxe. Elle nous apporte aussi la plus récente preuve que Clint Eastwood est devenu un cinéaste hors pairs, subtil et se foutant des conventions du système hollywoodien. Espérons maintenant que ce ne sera pas son chant du cygne.

par Nicolas Lacroix
vu en version originale anglaise

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