L'aviateur Affiche de film

L'aviateur

The Aviator

  • Date de sortie: samedi 25 décembre 2004
  • Genre: Drame

  • Réalisateur: Martin Scorsese
  • Producteur: Michael Mann, Sandy Climan, Graham King, Charles Evans, Chris Brigham, Charles Evans Jr.
  • Site officiel: www.aviatormovie.com
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Critique

Martin Scorsese aime bien les hommes qui connaissent de grands hauts et de grands bas. De Jake La Motta à Henry Hill en passant par Fast Eddie Felson, Scorsese aime les grands solitaires déchus (fictifs ou pas). Pas étonnant donc que l’histoire du multimilliardaire Howard Hugues l’ait intéressé. D’ailleurs, l’image de Hugues qui démarre le film, celle d’un cinéaste visionnaire cherchant à percer la communauté hermétique d’Hollywood, sied parfaitement à Scorsese.

Le film débute à la fin des années 20, pendant que Hugues tourne sa mégaproduction Hell’s Angels. Faisant fi des coûts démesurés de ses désirs visuels, Hugues tourne le film à sa façon, sans compromis, une méthode qu’il appliquera à toute sa vie. Le tournage débouche sur un succès cinématographique, certes, mais aussi sur une nouvelle avenue : l’aviation. C’est dans cette sphère que Hugues amènera le plus de révolutions et d’innovations. Malheureusement, son pire ennemi s’avère non pas les gens au pouvoir ou l’industrie qu’il veut révolutionner mais bien son propre cerveau malade.

The Aviator est le tiers d’un chef-d’œuvre, le tiers d’un bon film, et le tiers d’une biographie trop typique et pas assez creusée. La première partie du film étant tout simplement parfaite, le contraste avec les deux autres tiers n’en est qu’augmenté. Intentionnellement ou pas de la part de Scorsese, le film dégénère lorsque la folie de Hugues commence à se manifester, même si elle offre à Leonardo DiCaprio la chance de revisiter un de ses meilleurs rôles (What’s Eating Gilbert Grape).

Le film de Scorsese est une superbe réussite visuelle, probablement le plus beau film de sa carrière. Sauf qu’il nous garde à distance, émotionnellement, pendant presque la durée totale de ce film de près de trois heures. D’abord parce que les événements se succèdent sans grand contexte, aussi parce que le scénario montre les agissements de Hugues mais rarement les raisons. Le spectateur peut donc s’émerveiller devant les accomplissements du personnage mais quitte le film sans grande compréhension de l’homme derrière la réputation.

La structure est typique de ce genre de biographie et évoque clairement Tucker de Coppola et Citizen Kane de Welles. Certains épisodes étirent la crédibilité et la volonté du spectateur, comme cette commission d’enquête où Hugues renverse complètement la vapeur alors que quelques heures auparavant il était prisonnier de sa folie. D’ailleurs toute la finale est conçue pour plaire au grand public mais colle mal à la réalité de Hugues, un être paranoïaque, manipulateur, lié à la mafia et à plein d’histoires pas toujours nettes. Scorsese et le scénario de John Logan (Le dernier samouraï) choisissent d’éclipser les aspects les plus sombre de la vie de Hugues pour en faire un héros du 20e siècle, ce qu’il fut certainement, mais pas uniquement.

Scorsese, le cinéaste époustouflant, se reconnaît seulement ici et là : dans les étourdissantes séquences d’aviation, lors de l’écrasement d’avion le plus douloureux jamais vu au cinéma, dans certains plans vertigineux. Autre beau moment : le vol-test du Hercules (gigantesque avion de transport militaire développé pour l’armée américaine) se déroule avec la description radio actuelle de l’époque et s’avère un autre des beaux moments du film. Donc, visuellement du moins, le film représente un sommet pour Scorsese.

Au niveau interprétation, DiCaprio s’avère efficace mais pas renversant dans le rôle principal, la jeunesse de son visage collant mal au Hugues de la fin du film. Il se donne néanmoins sans compter, entre autres dans les séquences de maladie mentale. Par-dessus tout, le film appartient sans hésitation à Cate Blanchett dans le rôle de Katharine Hepburn, que Hugues a fréquenté avant qu’elle ne rencontre Spencer Tracy. Même si elle n’est présente que dans à peu près un tiers du film, elle représente la touche humaine qui fait défaut au reste de l’ensemble. Hugues lui-même bénéficie de sa présence, devenant un être humain au lieu d’une icône. De nombreuses courtes apparitions de vedettes viennent épicer l’ensemble ici et là, en plus des appuis solides de John C. Reilly, Alec Baldwin et Matt Ross dans des rôles périphériques.

The Aviator regorge de scènes soit superbes, soit fort efficaces ou impressionnantes pour d’autres raisons. N’eut été la distance prise face au personnage principal et à ses actions, le film aurait pu représenter un chef-d’œuvre et une fusion parfaite du talent de Scorsese et de cinéma grand public. Sauf que même à presque trois heures, on quitte le film avec une impression de superficialité impossible à ignorer. Ce qui en veut pas dire que vous devriez manquer de le voir au cinéma, au contraire…

par Nicolas Lacroix
vu en version originale anglaise

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