La peur du loup

Critique

La pédophilie est un sujet (évidemment) rarement abordé au cinéma mais curieusement, il effectue un retour en force avec des films comme Birth, Bad Education d’Almodovar et Palindromes de Solondz. Une cinéaste courageuse a également décidé d’en faire son premier sujet de film. Nicole Kassell adapte ainsi une pièce de Steven Fechter et remporte le prix du meilleur scénario au festival Slamdance de 2001. Le film qu’elle tire de son scénario nous arrive finalement, avec Kevin Bacon et son épouse Kyra Sedgwick en tête d’affiche.

Walter sort de prison après 12 ans d’incarcération pour un crime à caractère sexuel. Le film démontre sa tentative pour réintégrer la société et « devenir normal » comme il le dit si bien à son psychiatre. Deux consoeurs de travail, un policier et son beau-frère lui rendront la tâche plus ardue et plus facile tour à tour.

J’ignore quel travail de recherche Kevin Bacon a effectué avant d’interpréter ce rôle mais chapeau! Il s’agit non seulement du rôle de sa carrière mais également d’une interprétation qui surpasse ce que beaucoup d’acteurs plus respectés peuvent accomplir. Ce n’est pas un rôle que Bacon nous offre avec Walter mais un être tridimensionnel qu’on épie à travers la caméra. Chaque regard de Bacon rend parfaitement le combat constant qui se déroule à l’intérieur du personnage de Walter, la lutte constante entre la culpabilité, le doute, le désir de passer à autre chose et l’impression qu’il ne mérite pas nécessairement de réintégrer la société. Il se coupe du monde parce qu’il ne fait pas confiance à ses sentiments et pulsions. Plus aisé donc de tout réprimer et de rester effacé. Subtile et profonde, la performance de Bacon est seule responsable de l’humanité qu’on perçoit chez Walter, malgré ses crimes monstrueux.

Le film ne propose aucun moment de rédemption, aucune excuse facile et ne génère aucune sympathie artificielle pour son protagoniste, contrairement à un film comme Monster. Le capital potentiel de sympathie que génère Walter vient uniquement de ce que Bacon lui apporte et de ses interactions avec les autres personnages, dont certain perçoivent encore en lui un être bon et non uniquement un criminel.

Les acteurs qui évoluent autour de Bacon appuient fort solidement ses efforts en étant eux aussi sobres et réalistes. De Benjamin Bratt dans le rôle du beau-frère redevant, à l’extraordinaire Hannah Pilkes, petit chaperon rouge de l’histoire et victime potentielle de Walter, à peu près tous les acteurs sont forts. La seule note légèrement discordante est la chanteuse Eve, que son rôle ingrat transforme en stéréotype regrettable.

The Woodsman n’est pas tout à fait aussi courageux et solide que la performance de Bacon mais peu s’en faut. Le scénario comporte trop de coïncidences remarquables ou d’illogismes pour être complètement solide mais là encore, on a tendance à l’oublier pendant le film, éloge ultime au travail des acteurs. Ce n’est qu’une fois revenu chez soi et ayant digéré l’impact du film que les incongruités dérangent… un peu. Très peu même, mais puisqu’il faut bien critiquer…

Certains crieront peut-être, sans avoir vu le film, qu’on n’a pas à sympathiser avec un pédophile mais The Woodsman est plus délicat, plus balancé et plus honnête qu’une telle simplification. Nicole Kassell aborde avec son film une foule de sujets parallèles et à peu près tous les aspects de son sujet principal. Rarement aura-t-on vu portrait aussi intimiste, puissant et, au moins en apparence, honnête d’un tel prédateur. La prestation de Kevin Bacon vaut à elle seule le déplacement mais en plus il s’agit d’une première réalisation terriblement assurée d’une cinéaste qu’il faudra surveiller.

par Nicolas Lacroix
vu en version originale anglaise