J'ai serré la main du Diable Affiche de film

J'ai serré la main du Diable

Shake Hands With the Devil

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Critique

En 100 jours environ, d’avril à juillet 1994, on estime que 800 000 personnes ont été sauvagement exterminées au Rwanda dans une guerre civile sans merci. Le général Roméo Dallaire était sur place avec les forces limitées des Nations Unies mais, les mains liées par les politiques trop prudentes de l’ONU, il n’a pu empêcher le massacre. Tout au plus, il a aidé environ 30 000 personnes à survivre l’horreur. Lui n’a pas survécu, pas intact. Hanté par son incapacité d’agir, Dallaire a à son retour au pays attenté à sa vie avant de trouver un prolongement à sa mission qui agit aussi en prolongement de sa propre existence.

Le film de Roger Spottiswoode (canadien de naissance parti vivre en Angleterre) adapte le livre de Dallaire et nous fait vivre le conflit du point de vue du général, incarné par Roy Dupuis. Au départ, j’avais peur de trouver une production larmoyante, sensationnaliste ou manipulatrice. J’ai détesté Blood Diamond pour cette raison, c’était un sujet trop grave pour être traité dans un film cucul, manipulateur et factice. Aucun danger que l’histoire se répète avec J’ai serré la main du diable car si le film de Spottiswoode pèche, il pèche par sa sobriété et l’absence totale de sentimentalisme.

Les intentions du réalisateur sont louables : il veut, tel que l’a demandé Dallaire, éviter de quitter la réalité historique ou de faire de Dallaire un héros hollywoodien. Sauf qu’il en résulte une froide distance entre le spectateur et les événements et au lieu de quitter le film proprement bouleversé, on le quitte avec un début de tristesse mais rien de plus. L’implication émotionnelle qu’un tel sujet génère est pratiquement absente car le scénario reproduit le mur psychologique que Dallaire dresse dans son esprit pour passer à travers le conflit. Ce n’est qu’en fin de parcours que Spottiswoode (et Dallaire) laisse la réalité nous rattraper et nous frapper en plein visage. Le film se termine d’ailleurs sur une image d’une terrible beauté qui m’est restée en tête depuis.

Roy Dupuis n’a jamais été un acteur très chaleureux (à l’écran je parle), habitué qu’il est aux rôles d’hommes hantés, torturés, sombres et mélancoliques. Ce nouveau rôle lui va cependant comme un gant puisqu’il patauge dans les mêmes eaux. La ressemblance physique entre Dupuis et Dallaire est également frappante. Étant le centre du film, Dupuis domine le reste de la distribution si bien que peu nous restent à l’esprit.

Tourné sur les lieux des incidents qu’il dépeint, le film alterne entre beauté et horreur mais encore là, l’horreur est limitée et si les effusions de sang vous font peur, il n’y en a que peu. La sobriété de la réalisation s’étend aussi à la violence. Il y a donc très peu de choses à reprocher au film. C’est bien fait, généralement bien joué, plein de classe mais cette maudite distance…

Par Nicolas Lacroix
vu en version originale anglaise
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