La passion du Christ Affiche de film

La passion du Christ

The Passion of the Christ

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Critique

Je pardonne totalement à Mel Gibson car il ne sait pas ce qu’il fait. En fait il le sait, mais en partie seulement. Son film La passion du Christ a toutes les caractéristiques de la foi aveugle. C’est un film qui n’a qu’un but et qui s’y jette avec un abandon total, au péril de s’aliéner une partie des spectateurs. Fervent catholique, Gibson a décidé de prendre au pied de la lettre « la passion », soit les heures finales du Christ, de son arrestation à sa crucifixion.

Le film s’ouvre sur une séquence rappelant beaucoup l’ouverture de Cœur vaillant/Braveheart. Au milieu d’une nuit teintée de brouillard, des soldats viennent arrêter le prophète. Un semblant de procès devant les prêtres juifs et Jésus est condamné. À partir de ce moment, le calvaire commence. Pour le messie et pour nous. Gibson nous fait subir un simulacre de chemin de croix, confrontant le spectateur à une violence aux limites du supportable et nous faisant prier, en bout de ligne, pour la délivrance qu’amène la mort (en l’occurrence celle de Jésus, pas la nôtre).

J’admire en quelque sorte l’intention de Gibson. La passion devrait être horrible, nous dégoûter et nous donner une idée plus réaliste de ce récit que nous avons tous entendu à quelques reprise dans notre vie. C’est un peu comme quand Spielberg nous montre les vraies horreurs de la seconde guerre dans Il faut sauver le soldat Ryan. Le problème est qu’une fois qu’on se remet de cette violence, si l’on arrive à en faire abstraction pour prendre un peu de recul, La passion du Christ a bien peu à offrir outre ce message que, oui, Jésus a terriblement souffert pour nos péchés. C’est beau, Mel, on l’a compris après 10 minutes de torture. Et ensuite?

Aucun sens du message de Jésus, d’amour et de compassion, aucun sens du merveilleux. Très peu de contexte est offert, il faut arriver pratiquement avec une connaissance plus que rudimentaire de la Bible pour remplir soi-même les grands espaces contextuels laissés par Gibson et son scénario. Mais de ce que je sais de la Bible et de ses enseignements, l’ultime message n’en est-il pas un d’amour inconditionnel? Il ressort plutôt du film un sentiment de haine vengeresse (voir la séquence avec le corbeau qui attaque le crucifié non-repenti) et l’impression d’un Dieu féroce. Et quand Gibson s’aventure temporairement dans le surnaturel, ses images à la limite du ridicule semblent appartenir à un autre film, un peu comme si le Sauron du Seigneur des anneaux s’infiltrait dans son film.

Un seul personnage s’avère tri-dimensionnel et, surprise, il s’agit de Ponce Pilate. Les autres personnages ne jouent que sur un seul registre : Marie pleure, Jésus souffre, les érudits juifs condamnent. À voir les prêtres dans le film, on croirait voir Darth Vader (un plan en particulier évoque carrément la menace de Vader). Pilate semble le seul à vivre un véritable dilemme moral. N’étant pas particulièrement versé dans l’évangile (peu importe la source), je ne peux vous dire si l’intention est juste ou erronée. Les interprétations vont donc de paire avec les rôles tels qu’écris. Caviezel par exemple est puissant lorsqu’il souffre mais trop discret lors des retours en arrière.

Il est indéniable que le film est puissant par moment. Impossible de rester impassible devant une telle cruauté. De même, les images du directeur photo Caleb Deschanel sont souvent superbes. L’emploi de la langue araméenne au lieu de l’anglais insuffle également une touche de réalisme au film. Nous sommes donc très loin du navet ici, mais nous sommes également loin d’un film complet, nuancé et balancé, qui aurait pu offrir un éclairage contemporain sur l’évangile tel qu’enseigné. La passion et la foi de Gibson sont palpables. Il lui aurait peut-être fallu un peu plus de recul pour offrir une expérience complète au lieu d’une séance de torture de deux heures, aussi visuellement léchée soit-elle.

par Nicolas Lacroix
vu en version originale sous-titrée en français.

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